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Le mont Hoodoo était un volcan de taille moyenne. À l’aide de la plus récente technologie, il était facile pour les savants de trouver ce qu’ils cherchaient, que ce fût des types de roches, des sédiments ou de la vie végétale ou animale. Il était par contre moins évident pour six Nagas d’y repérer l’endroit exact où la reine Dracos s’était posée, sous sa forme de dragon blanc, puis de suivre sa trace jusqu’à l’entrée de sa pouponnière.

Les Nagas possédaient bien sûr l’extraordinaire faculté de se déplacer à travers le roc, la terre, le béton et l’acier, mais ces éléments les ralentissaient considérablement. C’est donc pour cette raison que Damalis choisit de ratisser la partie extérieure de la montagne, de manière à couvrir plus de terrain, en moins de temps. Les six frères s’attaquèrent d’abord au flanc nord, dans sa partie rocheuse, juste avant le commencement des grandes étendues de neige.

Sans prononcer un seul mot, les Spartiates avancèrent pas à pas, conservant une bonne distance entre eux. Ce fut Aeneas qui flaira le premier leurs ennemis. Il émit un sifflement strident, qui imitait le cri d’un oiseau exotique qu’on ne retrouvait pas en Colombie-Britannique. Les autres convergèrent aussitôt vers lui. Damalis posa la paume sur le sol froid.

— C’est bien elle, confirma-t-il. Je sens aussi la présence du roi serpent.

— Mais elle ne s’est pas posée ici, lui fit remarquer Thaddeus.

— De quel côté est-elle allée ?

Thaddeus se mit tout de suite au travail. En quelques minutes à peine, il leur indiqua la direction que Perfidia avait prise à son arrivée sur la montagne. Les Nagas grimpèrent prudemment vers le sommet sans apercevoir quelque entrée que ce soit.

— Espérons qu’elle n’a pas décidé de reprendre son vol pour se rendre sur l’autre versant, maugréa Eraste.

— Nous le saurons bien assez vite, les encouragea Damalis.

Le soleil avait commencé sa descente, et il ferait bientôt très froid à cette altitude.

— Damalis, regarde par-là, fit soudain Aeneas.

Ce qui ressemblait à première vue à une ombre était en réalité une crevasse. Les Nagas accélérèrent le pas. Il s’agissait d’un tunnel formé par de la lave, à peine assez grand pour qu’un homme puisse s’y faufiler. Perfidia avait donc repris sa forme humaine pour pénétrer dans la grotte qui se trouvait sous leurs pieds.

— Mes frères, écoutez-moi bien, réclama Damalis à voix basse.

Ils se groupèrent en cercle autour de lui.

— Nous avons grandi ensemble, étudié ensemble, risqué nos vies ensemble, mais je n’exigerai jamais que nous mourrions ensemble. Cette mission, vous le savez, est sans retour. Pour détruire Perfidia et ses rejetons, il nous faudra utiliser toute la dynamite que nous transportons. L’instinct maternel de la reine des Dracos l’avertira que ses œufs sont en danger. Nous ne disposerons donc que de quelques minutes pour faire exploser toutes les charges.

— Ce qui ne nous permettra pas de sortir à temps de la montagne, comprit Thaddeus.

— Je crois sincèrement que l’un de nous devrait échapper à ce massacre afin que notre sacrifice ne soit pas vain, continua Damalis. Les humains doivent savoir qu’il est possible de vaincre les Dracos.

Ses frères se mirent à protester, aucun ne voulant se séparer des autres.

— Nous pourrions choisir le survivant en tirant à la courte paille, suggéra Damalis en faisant la sourde oreille.

— Pas question, s’opposa Eryx. Si l’un de nous doit survivre, ce doit être le plus rusé et le plus fort, sinon les rois et les princes serpents n’en feront qu’une bouchée lorsqu’ils apprendront ce que nous avons fait. Il faut donc que ce soit toi, Damalis.

L’aîné n’arrivait même pas à s’imaginer une vie sans les petits frères qu’il avait pratiquement élevés lui-même.

— Prenons cette décision demain, trancha Aeneas. Nous sommes fatigués et nous risquons de nous tromper. Établissons un campement un peu plus bas, là où le vent ne soufflera pas vers l’entrée de la caverne. Demain, rien ne pourra plus nous arrêter.

Ils suivirent ce conseil et se serrèrent les uns contre les autres, enroulés dans leurs couvertures à l’épreuve du froid, après avoir consommé des barres de protéines assaisonnées avec de la poudre d’or. Damalis eut beaucoup de mal à trouver le sommeil. Plusieurs fois, il fut tenté de s’enfoncer sous terre pour s’assurer que Perfidia n’avait pas capté leur approche, car la reine était sans merci lorsqu’il était question de ses enfants.

Au matin, la mine lugubre, les Nagas se préparèrent à donner le coup de grâce aux Dracos. Dès leur réveil, ils s’étaient mis à réfléchir aux paroles de Damalis. Si ce dernier ne voulait pas les quitter, alors ils obligeraient le plus jeune à le faire.

— Pourquoi moi ? se fâcha Thaddeus.

— L’un de nous devra raconter ce qui s’est passé ici, et tu es notre meilleur conteur, le taquina Eryx.

— Croyez-vous vraiment que je pourrais continuer à vivre en sachant que je vous ai abandonnés ?

— S’il s’agit uniquement de rendre public notre acte de bravoure, intervint Aeneas, pourquoi ne pas tout simplement transmettre la nouvelle à un journaliste au moyen d’un téléphone cellulaire ?

Damalis songea tout de suite à l’ami de Théo, un reptilien dont il ne savait pas grand-chose, sinon qu’il était à la tête d'une puissante agence de renseignements.

— C’est une bonne idée, décida-t-il.

La nouvelle redonna de l’entrain aux six frères. Ils achevèrent leurs rations, vérifièrent leur équipement et se mirent en route. Ils grimpèrent une fois de plus jusqu’à l’entrée de la grotte.

— Je vais entrer le premier, annonça Damalis. Préparez-vous à me suivre dans cinq minutes.

Pour ne pas déclencher l’alarme dans le repaire de Perfidia, l’aîné ne transportait aucune arme ou bâton de dynamite sur lui, mais uniquement sa lampe de poche. Il s’introduisit dans l’ouverture arrondie et disparut dans le noir. Pendant plusieurs minutes, il glissa sur la pierre froide, puis ses pieds touchèrent le sol. Ses sens de reptilien étant beaucoup plus aiguisés que ses sens humains, Damalis adopta sa forme Naga. Son odorat lui indiqua aussitôt qu’il était au bon endroit, mais le passage de la reine remontait à quelques heures. Elle n’était donc pas dans les parages. Prudemment, il alluma sa torche électrique. Le spectacle qui s’offrit à lui le glaça d’horreur ! Au plafond pendaient des centaines de cocons gélatineux dans lesquels on pouvait déjà apercevoir la forme de bébés Dracos.

Damalis reprit sa forme humaine et composa le numéro de Cédric sur le téléphone cellulaire en espérant que le roc ne bloquerait pas la transmission. À son grand soulagement, le directeur lui répondit.

— Que puis-je faire pour vous ? demanda Cédric.

— Nous avons découvert l’antre de Perfidia, lui annonça Damalis, à voix basse. Je voulais seulement que vous conserviez les images que vous êtes sur le point de recevoir.

— Il n’est pas très prudent de les transmettre par téléphone.

— Je ne pourrai pas le faire autrement. Pour pouvoir détruire la reine et tous ses œufs, nous allons dynamiter la montagne. Il me sera donc impossible de vous transmettre quoi que ce soit après l’explosion.

— Êtes-vous en train de me dire que vous n’y survivrez pas ?

— Nous n’aurons pas le temps de quitter les lieux. Je suis certain que vous comprendrez, à moins que vous ne soyez apparentés au Dracos, que le jeu en vaut la chandelle.

— Je les déteste tout autant que vous, Damalis.

— Lorsque nous aurons exécuté notre mission, faites savoir à tous les peuples asservis par la reine qu’ils n’auront plus qu’à se débarrasser des rois.

— Vous pouvez compter sur moi.

— Merci, ami de Théo.

Même s’il fut tenté de tout lui avouer sur lui-même et sur ses déboires entre les mains des tyrans reptiliens, Cédric garda le silence. Damalis déposa le petit téléphone sur un repli de lave. Le directeur de l’ANGE en profita pour relier le sien à son ordinateur personnel, et ainsi obtenir une image plus grande de la sombre grotte. Il mit quelques minutes avant d’interpréter ce qu’il voyait. De curieuses stalactites pendaient du plafond… Ce ne fut que lorsque la lampe de poche de Damalis les éclaira par-derrière que Cédric comprit qu’il s’agissait d’Œufs collés au plafond de la caverne.

Cinq Nagas traversèrent soudain le mur de pierre sans la moindre difficulté, puis reprirent leur forme humaine. « C’est incroyable », songea Cédric, le regard rivé sur cette scène qui n’avait pas été filmée par un grand réalisateur de cinéma, mais qui lui parvenait en direct de l’autre bout du pays.

Il observa le travail silencieux et précis des frères mercenaires, qui installèrent de la dynamite aux endroits stratégiques. Ce n’étaient pas des amateurs. Pendant un instant, Cédric fut tenté d’avoir recours à son ordinateur pour évaluer les dommages que causerait une telle explosion à l’intérieur d’un volcan, puis se ravisa. On l’avait déjà accusé de trahison parce qu’il avait quitté la base de Montréal juste avant qu’elle ne soit dévastée. Une fois que les Nagas auraient été écrasés sous tout ce roc, jamais on ne retrouverait leurs corps et Cédric serait incapable d’expliquer pourquoi il s’était inquiété du sort du mont Hoodoo quelques minutes avant qu’il n’éclate.

Tendu sur son fauteuil, il se demanda s’il aurait eu le courage de faire la même chose que ces hommes. Bien sûr, il voulait lui aussi voir disparaître Perfidia à tout jamais, mais au point d’y perdre la vie ? Thierry Morin était-il fait du même bois que ces soldats ? Le directeur n’avait reçu aucune nouvelle de lui depuis qu’il était parti pour Jérusalem. Il ne savait même pas s’il était encore vivant.

Un grondement sourd le sortit de sa rêverie.

 

 

Les Spartiates s’immobilisèrent, hésitant à reprendre leur apparence de Nagas. Un second rugissement, plus rapproché, les fit reculer vers le mur le plus éloigné. Damalis referma lentement les doigts sur le détonateur pour qu’il ne lui échappe pas. Les charges étaient toutes en place, sauf une. Néanmoins, elles feraient suffisamment de dommages pour détruire cette nouvelle colonie de reptiliens. D’un même geste, les frères déposèrent leurs torches électriques sur le sol, pointant leurs faisceaux en direction des terribles cris qui s’amplifiaient. Soudain, la lumière révéla les pattes immaculées d’un animal pourtant disparu depuis des millions d’années.

— Damalis ? s’alarma Thaddeus.

— Ne bougez surtout pas, recommanda l’aîné.

Sous sa forme de dragon, la reine ressemblait à un dinosaure ailé. Elle avait parcouru les galeries à quatre pattes, mais une fois dans la caverne, elle se releva et déploya ses ailes. Pendant un court instant, Damalis songea que les paléontologues auraient adoré retrouver le cadavre d’une telle bête… Perfidia avait une vision parfaite dans l’obscurité. Il ne lui fut pas difficile de repérer les six hommes qui menaçaient ses enfants. Ce fut cependant son odorat qui l’informa qu’ils étaient là pour les tuer, lorsqu’elle huma l’air et sentit les explosifs déposés dans une anfractuosité du mur de lave. Furieuse, elle s’en saisit entre ses dents.

— Non ! hurla Eryx, craignant qu’elle ne désamorce toutes les charges.

Le dragon cracha la dynamite sur le sol et poussa un hurlement si puissant qu’il priva momentanément les Nagas de leur ouïe. La bête continua à avancer, ayant flairé d’autres explosifs. Eryx s’élança devant Perfidia pour l’empêcher de passer. La reine redescendit vivement sur toutes ses pattes et happa le Spartiate, le coupant presque en deux sous ses crocs tranchants. Des larmes coulant abondamment sur ses joues, Damalis appuya sur le bouton du dispositif qu’il tenait toujours dans sa main tremblante. L’explosion fut terrible.

Devant son écran d’ordinateur où plus rien n’apparaissait, Cédric Orléans était en état de choc. L’apparition du Dracos ailé venait d’installer dans son cœur une peur dont il ne pourrait plus jamais se départir. Perfidia était vraiment le monstre qu’on lui avait décrit. Son apparence humaine séduisante ne servait donc qu’à leurrer ses proies. Les frères Nagas avaient-ils vraiment réussi à l’anéantir ?

— Ordinateur, y a-t-il eu des séismes au cours des dernières six heures au Canada ?

— IL VIENT DE S'EN PRODUIRE UN DANS LE NORD DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE, LATITUDE 56° 78’ NORD, LONGITUDE 131° 28’ OUEST DANS LA CHAINE VOLCANIQUE STIKINE.

— Mettez-moi en communication avec Christopher Shanks sur sa ligne privée, code rouge.

— TOUT DE SUITE, MONSIEUR ORLEANS.

 

 

Shanks était en train de compléter des dossiers de recrues afin d’en discuter avec le directeur de la division canadienne. Kevin Lucas allait arriver dans quelques heures. Même s’il semblait être un homme gaillard, ce dernier n’aimait pas perdre son temps.

— CODE ROUGE POUR VOUS, MONSIEUR SHANKS, SUR LA LIGNE SECRETE.

— De la part de qui ?

— DE MONSIEUR ORLEANS, DIRECTEUR DE LA BASE DE TORONTO.

— Communication acceptée, ordonna Shanks, craignant qu’il ne soit arrivé un autre malheur à Vincent McLeod.

— VOTRE ASCENCEUR EST MAINTENANT VEROUILLE. CE QUE VOUS DIREZ NE SERA PAS ENREGISTRE. VOUS POUVEZ COMMENCER A PARLER.

— Que se passe-t-il, Cédric ?

— Ce que je vais te demander va te paraître insensé, mais je t’assure que je suis parfaitement sain d’esprit.

Shanks fronça les sourcils, intrigué.

— Est-ce que cela concerne Vincent ?

— D’une certaine façon. Es-tu au courant de ses recherches sur les reptiliens ?

— Il ne parlait que de cela lorsqu’il était ici. Mais ce sont surtout des démons qui l’ont accablé.

— Malheureusement, les deux sujets sont étroitement reliés.

— Je ne suis pas sûr de bien comprendre…

— Certaines espèces de reptiliens ressemblent beaucoup aux images des démons véhiculées par les religions.

— Je commence à avoir peur de ce que tu vas me demander.

— Rassure-toi, les seuls reptiliens que nous ayons croisés à l’ANGE sont tous passés sous le bistouri du docteur Wallace.

— Maintenant que j’ai l’esprit plus tranquille, railla Shanks, que puis-je faire pour toi, Cédric ?

— J’ai cru comprendre, en étudiant les recherches de Vincent, qu’il y avait une forte concentration de ces créatures sur le mont Hoodoo.

— Ce n’est pas tout à fait à notre porte, mais atteignable. Envisages-tu un raid ?

— Non, ce n’est pas la vocation de l’Agence. Pour tout te dire, ce qui m’intrigue, en ce moment, c’est qu’il vient de se produire une explosion dans ce volcan. Je me demandais si elle pouvait être reliée à de l’activité reptilienne.

— Nous n’avons pourtant ressenti aucune secousse, ici. Veux-tu que j’envoie une équipe ramasser les cadavres pour que ton médecin puisse continuer à s’amuser ?

— À les cataloguer, spécifia Cédric, et il déteste ça.

— Comme tu le dis. Si c’est tout ce que tu veux, pourquoi as-tu utilisé ma ligne secrète ?

— Pour éviter que le nouveau directeur nord-américain ne me prenne pour un fou avant même de m’avoir rencontré.

— Je vois. C’est bon, je vais dépêcher un hélicoptère furtif sur les lieux et te faire mon rapport de la même façon.

— Merci, Chris. Je l’apprécie beaucoup.

— Ordinateur, fin de la communication.

— DIRECTIVE ACCEPTEE. VOTRE ASCENCEUR EST DE NOUVEAU FONCTIONNEL, MONSIEUR SHANKS.

Le directeur d’Alert Bay ouvrit la bouche avec l’intention d’ordonner au chef de la sécurité de diriger cette mission d’exploration, puis se ravisa. Il était enfermé dans cette base depuis des mois ! Une petite sortie d’une heure ou deux à bord d’un hélicoptère que personne ne pouvait voir l’aiderait à se détendre. Il veillerait à être de retour avant l’arrivée de Lucas.

Il se rendit donc dans le hangar et composa rapidement une petite équipe, par mesure de prudence. En plus du pilote, il emmena avec lui les cinq vétérans de la sécurité qui enseignaient leur science aux jeunes élèves.

Une fois attaché à son siège, Christopher Shanks consulta l’un des nombreux ordinateurs à bord de l’appareil. L’explosion du versant nord du mont Hoodoo avait été enregistrée par les sismographes de la côte ouest. Le sas de sortie s’ouvrit dans le plafond de la rotonde et l’aéronef décolla à la verticale. Il s’éleva au-dessus du village, puis de l’île et piqua vers le nord. La vue des grandes étendues de forêts ancestrales et des profondes vallées creusées par les glaciers apporta au directeur un sentiment d’apaisement. « Cette planète est si belle et si précieuse », songea-t-il.

L’hélicoptère, doté d’un système de propulsion innovateur, parcourut en une heure à peine la distance qui séparait la base de la chaîne volcanique. Il ne fut pas très difficile de trouver la montagne qui avait explosé, car une épaisse fumée s’en échappait et s’élevait en colonne vers le ciel.

— Pouvons-nous nous en approcher suffisamment pour utiliser le matériel de détection ? demanda Shanks au pilote.

L’homme hocha la tête à l’affirmative et fit perdre de l’altitude à l’hélicoptère. Secondé par les membres de la sécurité, le directeur effectua une recherche d’intensité calorique, de réflexion des ultrasons et d’images par téléobjectif.

— Que cherche-t-on, patron ? demanda l’un d’eux.

— Des survivants de l’éruption, hasarda Shanks, qui ne savait pas très bien ce qu’ils s’efforçaient de découvrir.

Ils virent des animaux qui fuyaient les lieux seuls ou en troupeaux, mais heureusement aucun cadavre d’alpiniste ou de géologue, jusqu’à ce qu’une curieuse forme apparaisse sur l’un des scanners.

— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? balbutia l’homme en noir.

Il fit vivement pivoter son écran vers le directeur. Les ultrasons leur renvoyaient l’image d’un mammifère pourvu d’ailes couché sur le flanc, à quelques mètres à peine du début de la forêt, au pied de la montagne.

— Seuls les oiseaux ont ce genre d’organes, non ? se risqua un autre membre de la sécurité.

— Quelle taille cet animal peut-il avoir ? s’enquit Shanks.

— Il est presque aussi gros qu’un éléphant.

« Un éléphant ailé ? s’interrogea le directeur. Pourquoi pas ? Il existe bien des reptiliens qui n’apparaissent dans aucun traité de zoologie. »

— Le terrain est-il suffisamment stable pour que nous nous y posions ? voulut-il savoir.

Le pilote n’en était pas entièrement convaincu, mais il fit lentement descendre l’appareil en surveillant ses instruments de mesure.

— Il y a de l’activité dans le volcan, monsieur Shanks, déclara-t-il finalement. Il vous faudra faire vite.

— Je veux juste voir ce que c’est. Je ne prendrai que Williams avec moi.

— Les directeurs ne sont pas censés se mettre en situation de danger à l’extérieur de leur base.

— Ils ne sont même pas censés quitter leur base, ajouta le chef de la sécurité.

— Cela ne prendra que quelques minutes, et de toute façon, tous nos appareils indiquent que cette bête est morte.

Leur rôle était évidemment de décourager Shanks de descendre de l’aéronef, mais ce dernier n’en demeurait pas moins leur patron. L’hélicoptère se posa non loin de la carcasse de l’animal mystérieux. Le directeur et le chef de la sécurité en descendirent en même temps, tandis que le pilote surveillait de près l’activité sismique de la région, prêt à ramener tout le personnel en lieu sûr à la moindre secousse.

Moins confiant que Shanks, Williams marcha à ses côtés, l’arme au poing. En se rapprochant de la bête, ils ralentirent le pas. Elle était bel et bien ailée ! De surcroît, loin d’être un pachyderme, elle ressemblait davantage à un grand saurien !

— Je n’en crois pas mes yeux, murmura Williams, stupéfait. On dirait un dragon.

— Sauf que les dragons n’existent pas.

— C’est peut-être une statue sculptée par les natifs de la région.

Shanks s’avança plus près de la tête du dinosaure. Il constata que sa gueule était ouverte, découvrant une centaine de crocs acérés, et que sa langue bleue pendait sur le côté. « Et si c’était là un des reptiliens qui vivent dans la montagne, comme le prétend Cédric ? » se demanda-t-il. Il fit aussitôt faire un tour au premier bouton de son veston pour tout filmer. Prudemment, il tendit la main pour toucher la peau blanche parsemée de taches bleuâtres.

— Dites-moi que c’est du caoutchouc, l’implora Williams.

— On dirait de la peau de serpent, s’étonna le directeur.

Le dragon ouvrit les yeux. Shanks sursauta de frayeur.

Il bascula vers l’arrière et effectua plusieurs roulades vers le bas de la montagne. Williams recula vers lui en gardant son revolver pointé sur la tête de l’animal. D’un bond, Perfidia se releva. Elle était assommée, blessée et surtout ravagée par la perte de ses enfants. Sans se préoccuper des humains, elle donna une vigoureuse impulsion à ses pattes arrière et prit son envol. Williams ne tira pas sur le dragon, car il n’avait fait aucun geste agressif contre lui. Il suivit plutôt sa course du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse vers l’est.

Un gros rocher arrêta finalement la chute du directeur. Contusionné, il parvint à se redresser. Ses vêtements étaient déchirés à plusieurs endroits.

— Monsieur Shanks, est-ce que ça va ? demanda Williams en descendant le rejoindre.

— Je n’ai rien de cassé.

Il allait entreprendre l’ascension de la pente lorsqu’il remarqua une main, humaine cette fois, à travers la végétation, au pied des arbres.

— Doux Jésus ! s’exclama Shanks en se portant à son secours.

Il s’agissait d’un homme dans la trentaine couvert de sang. Il était impossible de déterminer l’étendue ou la gravité de ses blessures. Le directeur se pencha au-dessus de ses lèvres et sentit qu’il respirait encore.

— Williams, j’ai trouvé un blessé ! Faites venir notre équipe médicale tout de suite !

Tandis qu’ils attendaient les secours, les membres de la sécurité ratissèrent le terrain. Ils ne trouvèrent rien, ni sur le roc, ni dans la forêt. Dès qu’ils furent sur place, les infirmiers de l’ANGE placèrent l’inconnu sur une civière et le ramenèrent à la base. Shanks demeura à ses côtés tant que dura son examen. Le médecin commença par évacuer le sang de ses poumons pour le faire respirer librement. Les radiographies révélèrent ensuite un grand nombre de fractures, mais curieusement, aucune au crâne.

— Nous ne sommes pas équipés pour soigner autant de blessures, avoua finalement le médecin à son directeur.

— Où devrais-je le faire transporter ?

— Si vous ne tenez pas à le garder à l’Agence, il y a deux hôpitaux qui s’occupent de ce genre de traumatismes à Vancouver.

— Pas avant que nous ayons déterminé son identité.

— Alors, si mes renseignements sont bons, la seule installation qui possède l’équipement nécessaire à la récupération de cet homme, c’est la nouvelle base de Montréal.

— Faites le nécessaire pour qu’il y soit conduit le plus rapidement possible. Je me charge d’en prévenir le directeur. Merci pour tout.

Shanks tourna les talons et retourna prestement à son bureau. Il pianota aussitôt sur le clavier de son ordinateur personnel et visionna les quelques images qu’il avait filmées sur la montagne avant sa chute. Heureusement qu’il restait encore une heure de vol à Kevin Lucas !

— Cet animal est vivant…, murmura le directeur d’Alert Bay, éberlué.

— PUIS-JE VOUS ETRE UTILE, MONSIEUR SHANKS ?

— Mettez-moi en communication avec Cédric Orléans, code rouge, sur sa ligne secrète.

— TOUT DE SUITE, MONSIEUR.

Tandis qu’il attendait de pouvoir parler avec celui qui lui avait pointé du nez le mont Hoodoo, Christopher Shanks téléchargea sur son ordinateur les photos du blessé prises par le médecin.

— VOTRE ASCENCEUR EST MAINTENANT VEROUILLE. CE QUE VOUS DIREZ NE SERA PAS ENREGISTRE. VOUS POUVEZ COMMENCER A PARLER.

— Cédric ?

— Si j’en juge par le ton alarmé de ta voix, tu as trouvé quelque chose.

— Plus tôt, aujourd’hui, c’est toi qui ne voulais pas passer pour un fou. Eh bien, ce soir, c’est moi. Ordinateur, transmettez à monsieur Orléans la séquence suivante.

— PROCESSUR ENGAGE. LES IMAGES SERONT RECUES DANS CINQ SECONDES.

Ces secondes semblèrent durer des siècles tandis que Shanks attendait les commentaires de son homonyme.

— Cédric, es-tu toujours là ? s’impatienta finalement le directeur d’Alert Bay.

— Oui, Chris.

— Tu as vu cette bête ? Sais-tu ce que c’est ?

— Me croiras-tu si je te dis que c’est la reine des Dracos ?

— Comment se fait-il que des créatures semblables vivent sur notre planète sans que nous le sachions ? s’énerva-t-il.

— Elles adoptent habituellement notre apparence. Je suis vraiment étonné qu’elle se soit laissée regarder par des humains sous sa véritable forme. L’avez-vous capturée ?

— Non… D’ailleurs, je ne sais pas comment nous aurions pu nous emparer d’un animal de cette taille sans équipement de chasse. Dois-je te rappeler qu’il ne s’agissait au début que d’une mission de repérage ? Il s’est tout simplement envolé malgré ses nombreuses blessures.

« Dommage », pensa Cédric.

— Et ce n’est pas tout, poursuivit Shanks. Nous avons trouvé un homme dans la forêt.

— Un reptilien ?

— Non, un homme comme toi et moi. Il est en bien mauvais état. Notre médecin nous suggère de le faire transporter sans délai à ta future base, qui possède de l’équipement plus moderne. Je t’envoie sa photo maintenant.

— PROCESSUR ENGAGE. LES IMAGES SERONT RECUES DANS DEUX SECONDES.

— Le connais-tu ?

— Non, mentit Cédric, qui se doutait qu’il s’agissait probablement d’un des frères Martell.

— Nous n’avons rien trouvé sur lui dans les bases de données.

« Et Vincent n’est plus là pour les aider », songea Cédric.

— Je te tiendrai au courant de toutes mes découvertes.

— As-tu l’intention d’en parler à Kevin ? Veux-tu que je le fasse ?

— Je t’en prie, ne lui dis rien. Je voudrais d’abord m’entretenir avec madame Zachariah, car je crains que les reptiliens ne soient un problème plus mondial que national.

— Comme tu veux, mais je n’aimerais pas qu’on me reproche d’avoir dissimulé cette information, en bout de ligne.

— Je serai expéditif, ne t’en fais pas. Merci d’avoir confirmé ce que soupçonnait Vincent.

— La prochaine fois que tu me demanderas de faire ce genre d’enquêtes, je saurai à quoi m’attendre.

— Merci, Christopher.

— Ordinateur, fin de la communication.

— DIRECTIVE ACCEPTEE. VOTRE ASCENCEUR EST DE NOUVEAU FONCTIONNEL, MONSIEUR SHANKS.

Le directeur baissa les yeux sur ses vêtements sales et abîmés. S’il ne s’empressait pas de se changer, il serait obligé d’inventer une histoire pour expliquer sa tenue à Kevin Lucas, et il détestait mentir. Il se dirigea donc vers la petite chambre attenante à son bureau en demandant à l’ordinateur de ne laisser monter personne jusqu’à ce qu’il soit présentable.

 

Codex Angelicus
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